Une histoire d'amour
C’est à l’été 2003 que le plus beau petit museau du monde est entré dans ma vie. Oui, oui, «le plus beau petit museau du monde». Preuve à l’appui :
(La petite zone rose sous sa truffe m’a toujours fait craquer…)
Je voulais adopter un bouvier bernois, et il y avait un chiot de cette race disponible à Lorraine – la banlieue où j’ai grandi – à deux heures de chez moi. Avec la bénédiction de mon conjoint de l’époque, j’ai décidé de passer le voir et de déterminer sur place s’il allait se joindre à notre maisonnée ou non. Je me disais que je partirais avec lui si j’avais un «signe», une indication que nous étions destinés l’un à l’autre. J’étais très portée sur les signes extérieurs, à l’époque… mes propres sentiments ne me semblaient pas suffisants.
J’ai donc rencontré Pacha. Et non, je n’ai pas eu de «signe», ou d’apparition révélatrice d’Elvis. Pacha ne s’est pas élancé vers moi, comme si son âme me «reconnaissait» et se réjouissait que nous soyons enfin réunis. Mais ça a cliqué. Tout simplement. Je dois dire que j’ai été particulièrement charmée par sa petite tête de mule, qui était déjà plus qu’évidente… Oh oui, je pouvais déjà voir qu’il avait du caractère, et une volonté à faire déplacer des montagnes. Comme moi. Je pense que c’était ce que je cherchais, sans le savoir… J’avais besoin d’un compagnon qui avait la même intensité que moi et qui serait donc mon égal, d’une certaine façon.
Ainsi, je n’avais pas eu de «signe», mais je me sentais incapable de partir sans lui. C’était cela, mon signe.
(Anecdote : le nom temporaire que l’éleveuse avait donné à Pacha était… Beethoven. C’est bien le dernier nom que j’aurai attribué à mon petit chou!)
Juste pour le plaisir – et parce qu’il serait illégal de vous priver d’une telle adorabilité! –, voici un montage de photos prises environ une demi-heure après que je sois allée le chercher. Il avait deux mois.
Pacha a bondi dans mon cœur immédiatement. Oui, il est entré dans ma vie comme s’il y avait toujours été, et je l’ai spontanément aimé d’un amour total et absolu. On parle souvent des animaux comme s’ils étaient plus ou moins interchangeables, comme si on les aimait du simple fait qu’ils sont des animaux… Et effectivement, ils ont tous une pureté qui en soi très attirante. Cela dit, j’ai vraiment eu un coup de foudre pour Pacha – non pas pour les bouviers bernois, non pas pour les chiens en général, mais pour son essence personnelle et unique à lui seul. J’avais connu d’autres chiens, ainsi que quelques chats, et bien que je les avais tous beaucoup aimés, je n’avais encore jamais eu cette connexion. Ça ne s’explique pas… Ce n’est pas plus logique qu’un coup de foudre amoureux, mais c’était bien réel, et très puissant.
Pacha était, depuis le début, très vibrant, très «habité», très expressif (il avait deux mois et trois semaines sur la photo de gauche, en passant). Il paraît que les animaux ne parlent pas… Or, mon Pacha parlait, lui – et très clairement –, à la fois avec son regard et avec sa grosse voix de ténor. Je pouvais généralement traduire tout ce qu’il voulait me communiquer («Ne pars pas sans moi!»; «Mais qu’est-ce qu’il y a?»; «Oh que je me sens bien»…). D’ailleurs, probablement est-ce l’un des facteurs qui faisait que notre lien était si spécial. Oui, il y avait les caresses. Oui, il y avait les traditionnelles activités humain-chien. Mais il y avait aussi un véritable échange – non verbal, mais bien réel.
Je ne prenais pas beaucoup de photos pendant les premières années de sa vie, donc j’en ai peu à vous présenter… mais en voici quelques-unes. Il avait moins de trois ou quatre ans sur toutes ces photos.
«Salut, toi, en haut!» |
«Ma patte contre une caresse?» |
«Coucou!» |
«Une baleine à bâbord!» |
«Mais qu’est-ce que tu dis?» |
Et le clou : pipi dans les fleurs ;) |
Le quotidien avec Pacha était très… Pacha! J’ai toujours travaillé à la maison, donc «ma tite face de bébé» (c’est un de ses surnoms) a toujours été au cœur de ma vie, du matin au soir.
Quand je me réveillais le matin, la première chose que je faisais était de descendre au salon prendre contact avec lui, et plonger quelques instants dans son beau regard. Chaque fois c’était comme du Nutella pour le cœur et pour l’âme. Oh, nous avons partagé plus de 3 800 matins, lui et moi, et j’ai toujours savouré ce premier contact aussi intensément.
Le reste de la journée était une succession d’autres petits moments tout aussi simples et précieux. Une chose est certaine : nous étions toujours ensemble. Que je sois en train de cuisiner, de manger, de danser, ou de faire du ménage, il était là… Généralement avec un petit œil tourné vers moi. Quand j’écrivais Matin Magique, c’était au son de sa respiration, et enveloppée de son énergie. Quand je parlais au téléphone, je m’installais sur le plancher, à ses côtés, et je le massais tout en conversant. Quand j’allumais un feu, je l’appelais pour qu’il se joigne à moi (ou bien il venait simplement de lui-même), et je le caressais un moment en contemplant les flammes. Quand je sortais, il embarquait dans la voiture avec moi – oh, et il aboyait à tout rompre si je semblais partir sans lui. J’adorais qu’il soit à mes côtés même pendant mes déplacements! Il faut dire que j’avais dans mon rétroviseur la plus jolie vision qui soit :
Un autre de nos moments préférés était certainement nos loooongues marches quotidiennes. Nous en avons parcouru, des kilomètres! La personne qui le toilettait me disait, après chaque séance de toilettage, qu’elle n’avait pas eu à lui couper les griffes tellement elles étaient naturellement usées. J’étais pas mal fière de ce fait… C’était pour moi le symbole d’un chien heureux, qui vit pleinement.
Au tout début, j’avais tendance à le tirer constamment pour qu’il avance plus vite, quand nous marchions – son reniflage intensif et son marquage de territoire prenaient du temps, et, moi, j’ai toujours eu un rythme naturellement rapide. Je n’en avais pas tout à fait conscience, mais on pourrait dire que je considérais ses préférences moins importantes que les miennes… Puisque j’étais l’humaine, et qu’il était l’animal, je croyais que c’était toujours à lui de faire les choses à ma façon. C’était une pensée ridicule, bien sûr… Je ne l’avais simplement jamais remise en question.
Ainsi, j’ai appris à respecter sa nature de chien; j’ai accepté que marcher avec lui voulait dire marcher un peu plus lentement. Et très rapidement, c’est devenu un grand bonheur de le voir déambuler dans les rues de mon village, tout frétillant, sniffotant à peu près tout ce qui est sniffotable sur son passage, et s’arrêtant presque à chaque buisson. Il était tellement «humain» dans ses airs et ses comportements, à la maison, que c’était amusant de le voir se comporter en vrai chien à l’extérieur!
J’aimais particulièrement marcher avec lui l’été, pour des raisons évidentes, mais aussi parce que, durant la saison chaude, il pouvait aller s’abreuver dans le lac ou dans les ruisseaux que nous rencontrions. Je sais que je suis un peu gaga, mais j’adorais le voir boire dans la nature… c’était pour moi d’une telle beauté! Et voici ce qui était assez mignon et particulier : chaque fois qu’il s’abreuvait dans le lac – et j’ai bien dit, chaque fois –, il se retournait entre deux lapées pour me regarder. Et chaque fois, ça me faisait craquer…
Êtes-vous gaga vous aussi, maintenant? ;-)
Certains de mes autres petits moments préférés avec lui incluent…
…quand il essayait de tirer la laisse pour ME faire marcher :
…quand il refusait d’avancer dans la direction de mon choix (apparemment, ma petite tête de mule avait un autre circuit en tête…) :
…quand il dévorait des kilos de neige (il était passionné de neige!) :
… quand il lançait l’un de ces regards on ne peut plus expressifs, dont vous pouvez voir un échantillon ici :
…quand il recevait ses petites tapettes sur le ventre, dans un état de béatitude totale :
…quand il se couchait sur mes genoux (comme lorsqu’il était bébé… ou presque!) :
…et quand il était couché, tout simplement. Vous pouvez voir ici l’œuvre d’art que je pouvais contempler l’été en vous écrivant (car j’amène mon ordinateur dehors dès que le mercure dépasse 20 degrés!) :
Nous avons donc partagé une foule de merveilleux moments, bien plus que je ne pourrais en décrire ici. Or, ce que Pacha m’a donné de plus précieux, au cours de toutes ces années, est sa simple présence. Oui, le simple fait d’être là. Car quoi que l’on fasse, il diffusait constamment une énergie de douceur et de paix dans ma vie. Et je baignais continuellement dans cet amour si pur, si profond, et si riche que j’ai pour lui. En fait, chaque fois que je posais mes yeux sur lui, c’était un rappel à l’ordre, un rappel à la tendresse – ici et maintenant. Oh, je sais que ce n’est pas le genre de choses qui inspire des chansons, et il y a plein d’autres objectifs plus spectaculaires auxquels on peut aspirer dans la vie… Mais quand on y pense, qu’y a-t-il de plus magique que d’être dans un état d’amour au quotidien, jour après jour?
Cet amour tout doux et constant m’a certainement soutenue pendant les moments plus difficiles. À travers les unions, séparations, et déménagements (sans compter les moments où j’étais simplement un peu trop dure envers moi-même!), il me rappelait ce que je suis vraiment. Il a bien sûr été une grande source de réconfort pendant la maladie de ma mère, et à la suite de son départ.
D’ailleurs, quand ma mère est décédée, à 2 h 05 du matin, Pacha a commencé à hurler comme un loup chez la personne qui s’occupait de lui – à 150 km de l’hôpital où nous étions. Oui, exactement au même moment, en pleine nuit. C’est vous dire à quel point il était connecté, mon petit chien sensible.
Ainsi, mon amour pour Pacha s’est épanoui et approfondi année après année. En fait, c’est étrange à dire, mais c’est un peu comme si une partie de nous avait fusionné… Comme si nous faisions partie l’un de l’autre. Plusieurs étaient amusés de constater qu’il devait toujours m’avoir dans son champ de vision, et qu’il aboyait frénétiquement quand il ne me voyait plus. Et c’était totalement réciproque… même si je n’aboyais pas. ;-) Je sentais un vide dès qu’il n’était pas à mes côtés. En fait, les seuls moments (outre mes voyages) où nous étions séparés étaient ceux où il se faisait toiletter, et pendant les trois heures que je passais sans lui à ce moment, j’avais toujours l’impression que quelque chose ne tournait pas rond.
Donc, oui, j’aimais chacun de ses poils, chacun de ses regards, tout son être entier, cela avec un abandon total. Je ne pouvais imaginer l’aimer davantage, ou être plus proche de lui. Jusqu’à ce que…
Mon petit champion
En novembre 2011, je me promenais sur le bord de la plage à Manhattan Beach, en Californie, quand j’ai vu une femme tirer son chien – un berger allemand – dans un chariot. Cela a attiré mon attention… je n’avais encore jamais vu un chien étendu ainsi sur une plateforme à roulettes, immobile. Aussi, c’est dur à expliquer, mais c’est comme si j’ai su intuitivement qu’il y avait là une sorte de message pour moi, quelque chose à «écouter». Je suis donc allée parler à la dame et elle m’a expliqué que son chien était paralysé.
Notre échange m’a beaucoup touchée, et je me disais en l’écoutant que, même si déplacer un gros chien presque totalement paralysé devait être très exigeant, et même si cela pouvait sembler un peu extrême aux yeux de plusieurs, je savais que je ferais la même chose pour Pacha. Pourvu qu’il soit toujours heureux et pétillant, bien sûr… Car le voir éteint m’aurait fait souffrir encore plus que de ne pas le voir du tout.
Eh bien, un mois plus tard, en décembre, j’ai remarqué que Pacha tombait parfois en marchant. Ses pattes d’en arrière, en particulier, semblaient avoir perdu un peu de leur force. Après de longues visites à l’hôpital vétérinaire, le diagnostic est tombé : Pacha avait le syndrome de Wobbler, une maladie typique des bouviers bernois (en fait, il semble que toutes les maladies soient typiques des bouviers bernois…). En termes simples, il avait une malformation des vertèbres cervicales qui compressait sa moelle épinière. C’était très avancé, pas opérable, et théoriquement irréversible. On m’a informée qu’il allait être de plus en plus paralysé, jusqu’à l’être complètement – ou plutôt, jusqu’à ce qu’il soit tellement invalide que je doive mettre fin à ses souffrances. Selon la neurologue, il lui restait un maximum de six mois avec une belle qualité de vie.
J’ai été complètement bouleversée par cette nouvelle, bien sûr (et tout cela s’est passé quatre mois après que l’on ait diagnostiqué le cancer de ma mère, soit dit en passant). Je ravive rarement ces souvenirs, donc ils sont maintenant flous, mais quand j’y repense, je me souviens avoir passé quelques jours an larmes – dans une sorte d’état second. Oh, et je me souviens aussi que j’avais exceptionnellement investi beaucoup d’énergie à décorer ma maison pour Noël, cette année-là… C’était tellement étrange de vivre une peine aussi grande dans un cadre aussi féerique. (En passant, cette partie de l’histoire se termine très bien, donc vous pouvez continuer de savourer votre brioche à la cannelle tranquillement. Oui, oui: dans mon imagination, vous dégustez une brioche à la cannelle en me lisant!)
Quand nous sommes rentrés à la maison, Pacha ne tenait à peu près plus debout; c’était comme s’il avait des pattes de caoutchouc. Je devais le soulever avec des serviettes pour qu’il puisse aller dehors faire ses besoins. C’était très compliqué, et il me fallait souvent le laver à la serviette. Mais le plus difficile est que, tout en m’occupant de lui, je devais me préparer intérieurement à l’éventualité de son départ – car je ne savais pas s’il allait prendre du mieux ou non. Ainsi, je m’étendais pendant de longs moments à ses côtés – son dos contre mon ventre, comme en cuillère – et je faisais le bilan de notre vie ensemble, au cas où il devrait effectivement partir bientôt.
Donc tout s’était écroulé très rapidement… Mais bien que j’essayais de rattraper la réalité, j’étais loin d’être résolue! J’ai couvert le plancher de ma maison de tapis d’hiver antidérapants pour que Pacha ait une meilleure traction (ses pattes ayant perdu presque toute leur force, il glissait sur le bois comme sur une patinoire). Vous pouvez voir les tapis à gauche, ainsi que la fameuse serviette que j’utilisais pour le soulever. Après quelques jours, j’ai trouvé le moyen d’amener mon Pacha presque paralysé chez le vétérinaire holistique pour qu’il reçoive des traitements d’électroacupuncture (une de mes sœurs avait découvert que cette technique pouvait aider les animaux qui ont des problèmes neurologiques). Mon père m’a trouvé des harnais de toutes sortes que je pouvais utiliser pour m’aider à soulever Pacha. Et il y avait la médication, bien sûr.
Vous pouvez voir Pacha lors d’un de ses premiers traitements d’électroacupuncture ici (remarquez la petite aiguille sur le dessus de sa tête!) :
J’ai immédiatement vu une différence après le premier traitement, donc je me suis arrangée pour qu’il en receive d’autres très régulièrement. D’ailleurs, j’aimerais faire ici un aparté pour évoquer une idée qui me laisse un peu perplexe : cette conception selon laquelle il ne faudrait pas «trop» en faire pour un animal. Comme vous l’avez sûrement remarqué, on juge souvent ceux qui font des pieds et des mains pour que leur chien ou leur chat puisse vivre plus longtemps, avec une meilleure qualité de vie. Mais pourquoi un animal ne mériterait-il pas les meilleurs soins que l’on puisse se permettre de lui offrir? En ce qui me concerne, je ne peux pas imaginer un meilleur investissement de temps et d’argent.
Ainsi, après environ une semaine, Pachouchou (oui, c’est un autre de ses surnoms…) a commencé à prendre du mieux et à pouvoir tenir sur ses pattes un peu plus longtemps. Vous pouvez imaginer la profondeur de mon soulagement! J’étais si exaltée de le voir marcher, et si déterminée à ce qu’il continue de prendre du mieux que j’ai spontanément commencé à faire des sortes d’affirmations positives. Pendant qu’il marchait, je lui disais avec enthousiasme : «Regarde comment tes pattes sont fortes… Mon Dieu que tu es solide… Je peux sentir l’énergie qui circule dans ton corps, je peux sentir l’influx nerveux qui passe facilement, si facilement à travers ta colonne vertébrale…» Et quand il tombait, je le remettais rapidement debout sur ses pattes, et on continuait comme si de rien n’était.
J’avais donc décidé d’oublier le pronostic de six mois… Car je me disais que s’il allait un peu mieux, cela voulait dire qu’il pouvait aller beaucoup mieux. N’est-ce pas? ;-)
Après environ un mois, son étincelle de vie était complètement de retour, et il marchait sans tomber. Le hic est qu’il ne marchait pas très longtemps, jamais plus de quinze ou vingt minutes à la fois, alors que nous marchions normalement un minimum d’une heure par jour. Ces longues marches quotidiennes me manquaient beaucoup, et j’avais l’impression qu’elles devaient lui manquer également. J’ai refusé d’y renoncer. Et c’est ainsi qu’est arrivée la solution magique! Mesdames et Messieurs (roulement de tambour…), je vous présente officiellement la «poussette à Pachou», que vous pouvez voir ici :
Il avait fière allure, n’est-ce pas? Il avait vraiment l’air d’un Pacha, justement! Cette poussette magique a permis de garder nos vies aussi normales que possible. C’était mon but… Je voulais que Pacha soit le moins affecté que possible par sa condition; que sa vie soit aussi riche et stimulante qu’avant.
Si vous vivez à Knowlton, vous m’avez certainement vue déambuler avec cette poussette et mon petit chou aux airs royaux. Se promener avec un gros chien attire toujours beaucoup d’attention, en soi… Mais se promener avec un gros chien sur une telle structure, disons que ça fait tourner à peu près toutes les têtes! À ma grande joie, plutôt que de le prendre en pitié, la plupart des gens riaient, ou disaient que Pacha était chanceux de se faire porter ainsi. Et quand on me demandait ce qu’il avait, je disais simplement qu’il avait temporairement besoin d’aide pour bouger. Je gardais les choses toujours aussi «légères» que possible. C’est l’un de mes principes de vie, d’ailleurs. Sans mentir, je suis généralement plus branchée à ma vision qu’à la réalité du moment.
Nous nous promenions souvent près de deux heures par jour. Au début, je ne le débarquais de la poussette que dix minutes avant que nous rentrions à la maison. Puis, j’ai commencé à le débarquer vingt minutes avant. Puis après quelques mois, je le faisais marcher trente minutes. Je le poussais un peu, mais jamais trop. De toute façon, il pouvait remonter dans la poussette n’importe quand. Ainsi, mois après mois, quelque chose dans son corps s’est replacé, et je crois qu’il a repris confiance en lui, car il a commencé à marcher plus longtemps de lui-même. Oui, mon beau Pacha à la petite tête de mule a décidé non pas de déplacer des montagnes, mais de réapprendre à les escalader… Il a dirigé tout son élan de vie, toute sa volonté, pour retrouver sa mobilité. Il montait même des côtes très à-pic, un pas à la fois, comme un petit soldat. À la maison, il a recommencé à se lever sur ses pattes de lui-même, sans mon aide. Il m’impressionnait tellement. Sa démarche n’était pas la même qu’avant, c’est sûr… Elle était encore plus belle. C’était la démarche d’un chien qui pourrait facilement se laisser aller, mais qui choisissait la vie à chaque instant.
Vous pouvez voir ici comment il marchait dix mois après le diagnostic (les premiers temps, je laissais toujours le harnais sur lui pour pouvoir l’aider à se relever, au besoin) :
Ainsi, non seulement la maladie ne dégénérait-elle pas, mais en plus, Pacha prenait du mieux mois après mois. Oh, nous continuons parfois de prendre la «poussette à Pachou» malgré tout, puisqu’il l’aimait beaucoup… Mais comme vous pouvez le voir ici, il n’en avait plus vraiment besoin. ;-)
J’ai donc vécu au cours des deux dernières années (c’est-à-dire, les deux années qui ont suivi le diagnostic) plein de délicieuses «premières fois». La première fois que nous avons pu faire une vraie marche complète sans la poussette. La première fois que nous avons marché plus d’une heure de nouveau. La première fois qu’il a été capable de recommencer à lever la patte pour faire pipi (eh oui!). La première fois qu’il a pu aller boire au lac, comme il le faisait avant. La première fois qu’il s’est déplacé de lui-même d’une pièce à l’autre de la maison, sans que je l’aide. La première fois qu’il a été chatouilleux de nouveau (il avait cessé de l’être avec la maladie). La première fois que nous avons pu jouer à cache-cache de nouveau. Chaque fois, c’était la joie totale!
Son corps était plus usé, bien sûr… Je voyais qu’il devait faire des efforts pour bouger. Mais il avait un tel élan! Il était loin d’être aigri… En fait, je ne l’ai jamais vu aussi allègre et épanoui que pendant ces deux années. Pour ma part, ce furent également mes plus belles années avec lui, même si ce fut très exigeant au début. J’ai adoré faire équipe avec lui, relever tous ces défis, et savourer chaque jour toutes ces petites victoires. Notre lien était plus fort et plus riche que jamais. À mes yeux, il était au sommet de sa beauté.
Pacha a donc vécu pendant deux ans avec cette maladie. Et au fond de moi, je savais qu’elle ne dégénérerait jamais. Mais évidemment, je savais aussi que Pacha allait finir par partir un jour… Et je pressentais que cela allait être quelque chose de rapide et de virulent. Un départ naturel, sans longue souffrance.
Le grand départ
Le 23 décembre dernier (2013), j’étais en route vers Montréal, et je parlais avec l’une de mes sœurs au téléphone. Je lui ai glissé que j’étais un peu inquiète, car Pacha semblait un peu léthargique et ne mangeait pas beaucoup. Il avait toujours eu des hauts et des bas, mais, sans être glouton, il avait toujours mangé tout son plat.
Ma sœur m’a suggéré d’aller à l’hôpital vétérinaire. Je me disais qu’on ne trouverait rien; et la technicienne à qui j’ai parlé au téléphone m’a confirmé que les symptômes de Pacha étaient effectivement très vagues… Mais je me suis rendue à l’hôpital malgré tout. J’étais convaincue qu’il n’y avait rien de sérieux, mais je voulais pouvoir fêter Noël l’esprit en paix.
À ma grande surprise, la vétérinaire a été alarmée dès qu’elle a jeté les yeux sur lui. Quand elle a dit qu’il avait «le teint pâle», je pensais qu’elle faisait une blague… Or, elle était sérieuse, et elle faisait référence à ses babines, qui étaient blanchâtres – un signe d’anémie. On a donc gardé Pacha pour le soumettre à des tests; et je suis rentrée en ville, certaine que j’irais le chercher un peu plus tard. La réaction de la vétérinaire m’avait un peu ébranlée, mais j’essayais de ne pas m’en inquiéter.
Quelques heures plus tard, on m’a appelée pour me donner le résultat des tests. On m’a annoncé très simplement que Pacha avait un cancer très agressif dans trois organes. Un cancer non opérable. Il n’y avait rien à faire; les quelques traitements possibles ne seraient que palliatifs.
Quel choc j’ai eu… J’ai éclaté en sanglots au restaurant (ce qui m’a valu un smoothie gratuit!). Penser qu’il y avait un cancer dans le corps de mon Pacha était pour moi d’une telle violence… Comment une telle maladie pouvait-elle ronger un être aussi pur et aussi beau? Et surtout, comment cette maladie pouvait-elle être plus puissante que moi? Je m’étais posé la même question pendant la maladie de ma mère, d’ailleurs… Je sentais la force de mon amour, et je n’arrivais pas à comprendre qu’une énergie destructrice puisse lui résister. Ce n’était certainement pas rationnel, mais j’avais vraiment l’impression que mon amour était plus fort que tout. (Évidemment, le cancer n’est pas une énergie destructrice, en réalité… la mort et la maladie font partie du cycle de la vie, et sont aussi empreints d’amour que la naissance.)
Bref, après en avoir discuté avec l’oncologue, nous avons décidé d’essayer des traitements de chimiothérapie, car ils seraient presque sans effets secondaires pour Pacha, et nous n’avions rien à perdre. C’était un traitement palliatif, mais qui sait…
Le lendemain du diagnostic, j’ai enfin pu aller chercher Pacha à l’hôpital. J’étais tellement heureuse et soulagée de le revoir! Nous avons rapidement rejoint ma famille à l’hôtel pour le réveillon de Noël. Il n’était pas au sommet de sa forme, mais il allait bien.
Le lendemain, jour de Noël, il allait toujours plutôt bien. J’ai fait un saut à l’hôpital vétérinaire pour qu’on lui fasse passer des tests. L’idée était de s’assurer que ses signes vitaux étaient O.K. pour donner le temps à la chimiothérapie d’agir. Tout était beau; il allait même un peu mieux, dans les circonstances.
Le lendemain, par contre, il semblait éteint, et il avait arrêté de manger encore une fois. Je me disais que sa fatigue devait être causée par les festivités, ainsi que par la chimiothérapie. J’étais un peu inquiète, mais j’avais décidé de ne vivre qu’un moment à la fois. Quand je suis allée me coucher, par contre, je n’arrivais pas à dormir. Je me souviens que j’étais étendue dans mon lit, et que quelque chose me disait de retourner voir Pacha… J’avais le sentiment que ma place était auprès de lui.
Je suis donc allée m’étendre contre lui – son dos contre mon ventre, encore une fois. Et j’ai spontanément commencé à lui parler. Je lui ai dit mentalement à quel point je l’aimais, à quel point nous étions liés pour l’éternité. Je lui ai rappelé à quel point il était précieux pour moi, et à quel point il allait toujours, toujours l’être, même quand il serait parti. Je lui ai rappelé à quel point il était courageux, à quel point il s’était dépassé au cours deux dernières années. Je lui ai dit aussi que le jour où il partirait, il n’aurait plus aucune contrainte physique – il allait pouvoir gambader, courir à toute vitesse comme il aimait tant le faire, bébé. Je l’ai remercié. Et je lui ai dit qu’il pouvait partir lorsqu’il serait prêt, aussi. J’étais calme et centrée en lui parlant… Car je n’avais aucune raison de penser qu’il partirait bientôt – après tout, nous avions vu le vétérinaire la veille.
Après lui avoir dit tout ce que j’avais envie de lui dire, je me suis permis de l’enlacer aussi fortement que je le souhaitais… Les jours précédents, je le touchais très délicatement, car il n’était pas en forme et j’avais l’impression qu’un toucher trop insistant aurait pu être agressant pour lui; mais à ce moment-là, je l’ai vraiment serré contre moi très fort. J’ai touché son corps, ses belles grosses pattes d’ours… J’ai embrassé son front, comme je le faisais souvent. J’ai vraiment senti que ma décharge d’amour était «reçue», que quelque chose avait passé. Puis je suis allée me coucher.
Il m’a réveillée quelques heures après cela, à 4 h 30 du matin. Il est parti quinze minutes plus tard.
Souvent on dit qu’anticiper les épreuves est pire que de les traverser… mais ici, vivre le départ de Pacha fut beaucoup plus difficile que ce que j’aurais pu imaginer. Car quand j’essayais d’imaginer son absence (chose que j’essayais de faire le moins souvent possible, bien sûr), il était à mes côtés. C’était comme essayer d’imaginer la faim pendant qu’on déguste un bon repas.
Son départ fut pour moi un véritable déchirement. On aurait dit qu’on m’avait arraché un organe – le cœur, plus spécifiquement. Je m’étais nourrie du bonheur de m’occuper de lui, et de le voir rayonnant, pendant dix ans et demi… Puis soudainement – pouf! – il était parti. Ça me semblait impossible, inconcevable, surréel. C’était vraiment comme si j’avais perdu l’axe de ma vie… je me sentais comme un satellite sans planète.
La phrase qui me venait souvent à l’esprit est: «Je ne sais plus quoi faire de moi-même.» Je prenais des bains de trois heures et je m’évadais dans des romans. C’était beaucoup plus qu’un «vide»… C’était plutôt comme si ce n’était plus mon existence. Je ne savais pas comment naviguer dans cette nouvelle vie que je ne reconnaissais pas. Chaque petit moment de mon quotidien était imprégné de lui… Maintenant qu’il était parti, c’était comme si je me réveillais dans une réalité complètement différente. Chaque fois que je faisais un mouvement, je le cherchais… pour vivre chaque fois le choc de son absence.
Donc oui, son départ m’a profondément bouleversée, et je peux difficilement décrire la profondeur de mon désarroi. Mais la vie est forte… À ma grande surprise, mon élan a commencé à revenir environ trois semaines après son départ. Ce n’est pas que je suis passée à autre chose, mais plutôt que, le choc étant passé, une certaine adaptation s’est faite en moi. Au départ, je ne sentais que le vide… Mais au fil du temps, j’ai commencé à sentir aussi le plein – une connexion toujours vibrante, au présent, avec lui. Je ne parle pas ici d’une croyance, ou d’une jolie histoire, mais d’un sentiment profond.
Aujourd’hui, quatre ans plus tard, mon amour pour mon beau Pacha est toujours aussi vivant. Il m’arrive même encore de verser des larmes en pensant à lui… mais ce sont surtout des larmes d’amour et de gratitude. Je sais qu’il fera partie de moi pour le reste de ma vie.
L’une des choses que j’aimais le plus quand Pacha était bébé était de pouvoir le porter dans mes bras. Oh que j’aimais le coller contre moi ainsi! Quand il a pris du volume et que c’est devenu impossible, ces moments me manquaient beaucoup. Même quand je m’assoyais à côté de lui, ce n’était jamais la même sensation; il était toujours un peu trop loin, trop gros pour que je puisse l’enlacer au complet. Je lui disais donc souvent, à la blague : «J’aimerais que tu sois tout petit, tout petit, pour que je puisse te déposer dans une petite poche sur mon cœur et t’avoir toujours collé contre moi.» En réalité, je n’ai jamais porté de vêtements qui ont des poches au niveau du cœur… mais j’aimais cette image, j’aimais imaginer Pacha toujours contre moi, toujours là. Et depuis son départ, je repense à cette petite poche… et je sais que c’est exactement là où il se trouve maintenant.
Voilà. :-)
Si vous avez envie d’écrire un petit commentaire, vous pouvez le faire un peu plus bas. Je sais que je ne suis pas la seule personne à avoir ce type de lien très fort avec un animal… Donc si vous avez envie de partager votre expérience, c’est vraiment l’endroit. Et si vous avez simplement envie de faire un petit coucou, ce sera génial aussi!
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